Maitre Sara NABET avocat Valence

Liée par la solution retenue par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE, 16 juillet 2015, aff. C-507/14, P c/ M), la première chambre civile de la Cour de cassation (1 ère Civ., 22 novembre 2023, n° 21-25.874), a récemment interprété l’article 16 § 1 du règlement dit « Bruxelles II bis » régissant les questions de compétence internationale en matière, notamment, de responsabilité parentale.

Cette interprétation, qui illustre le principe d’autonomie des concepts du droit de l’union 1 , s’est précisément portée sur la notion de « négligence » figurant à l’article 16 §1 dudit règlement.

A l’origine de cette décision, les faits suivants.

Le père d’un enfant résidant en France dépose, devant une juridiction française, une requête le 28 mai 2019 et la signifie à la mère plus d’un an après, en date du 18 septembre 2020.

Ce qui amène la Cour de cassation à se prononcer sur ce litige, c’est qu’entre le dépôt de la requête et sa signification, la mère avait déménagé avec l’enfant en Allemagne et saisi en parallèle les juridictions allemandes.

Le père n’ayant pas informé les services du greffe de la nouvelle adresse de la mère, la Cour d’appel a estimé que cette « grave négligence » faisait obstacle à la saisine régulière des juridictions françaises au sens de l’article 16 du règlement Bruxelles II bis, puisqu’à la date de la signification de la requête, l’enfant vivait en Allemagne.

Pour rappel, en matière de responsabilité parentale, l’article 8 dudit règlement pose la règle selon laquelle « Les juridictions d'un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l'égard d'un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie. ».

L’article 16 § 1, essentiel en ce qu’il éclaircit la notion de saisine d’une juridiction, précise qu’« une juridiction est réputée saisie : a) à la date à laquelle l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n'ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu'il était tenu de prendre pour que l'acte soit notifié ou signifié au défendeur ».

Au visa de ces articles et au soutien d’une interprétation subjective du concept de négligence, la Cour d’appel se déclarait incompétente au profit des juridictions allemandes.

La Cour de cassation censure néanmoins cette interprétation et applique le raisonnement de la CJUE, en affirmant qu’« une juridiction est réputée saisie par la réalisation d'un seul acte, à savoir le dépôt de l'acte introductif d'instance, dès lors que le demandeur n'a pas omis de prendre les mesures qui lui incombaient pour que l'acte initial soit régulièrement notifié ou signifié au défendeur. »

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1 Voir en ce sens l’analyse de Mme Carole Champalaune, Présidente de la première chambre civile de la Cour de cassation dans la lettre n°13 (janvier 2024)

Cette solution objective retient donc que la négligence s’entend en réalité d’une omission.

La CJUE justifiait ce choix par la volonté d’assurer aussi bien « l’égalité des armes entre les parties » que la « protection contre les abus de procédure » (CJUE, 16 juillet 2015, aff. C- 507/14, P c/ M).

Ainsi, peu importe qu’entre la date à laquelle l’acte introductif d’instance a été déposé auprès de la juridiction et la date à laquelle l’acte a été notifié ou signifié au défendeur, l’enfant ait déménagé ou qu’un juge d’un autre Etat membre ait été saisi.

Dès lors que le demandeur a déposé un acte introductif d’instance, qu’il a par la suite pris soin de notifier, le juge compétent sera déterminé à l’aune de la seule date du dépôt de l’acte introductif.

Précisons, à toutes fins utiles, que cette jurisprudence, rendue sous l’empire du règlement « Bruxelles II Bis » est à transposer au visa des articles 7 et 17 du règlement « Bruxelles II ter », applicable aux actions judiciaires intentées à compter du 1er août 2022.

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